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AUX SOURCES DU COUPLE : UNE RELECTURE DE FREUD

La thérapie psychanalytique de couple se réfère à un présupposé: la souffrance des sujets, qui les amène à consulter, est le produit de conflits inconscients devenant envahissants sur certaines scènes de la vie psychique.

Face à cela, notre rôle de thérapeute est d’apporter une écoute et des paroles ayant fonction mutative afin que plaisir, déplaisir et réalité s’organisent dans le psychisme des personnes sur un mode différent, de sorte que la relation ne soit plus uniquement source de frustrations et de déplaisir, voire de souffrance et d’angoisse.

Proposer à des patients de leur apporter cette écoute et ces paroles mutatives implique que le thérapeute puisse avoir accès aux conflits inconscients des sujets. D’où ce deuxième présupposé, clinique, qui a été le fruit d’un constat émergeant de plus en plus précisément au fil de l’histoire de la psychanalyse: les conflits inconscients s’actualisent dans le traitement sur la personne du thérapeute, et d’une façon plus générale, sur le cadre de la thérapie.

Dans la théorie psychanalytique,
l’effet de ce transfert sur le thérapeute
se nomme contre-transfert.


Ecoute et parole mutatives constituent donc l’objectif principal de la proposition que nous faisons implicitement aux patients de leur redonner une capacité de penser, en regard de l’emprise qu’exerce sur eux un monde pulsionnel menaçant pour le moi.

Mais cette capacité de penser, dans une séance et dans le traitement, c’est d’abord la nôtre. Ce qui est fondamental dans notre plaisir d'exercer notre métier de thérapeute. C’est en tant que le thérapeute conserve sa liberté d’association, sa capacité de forger des images figurant la problématique exprimée, que la communication des psychismes s‘établira d’une manière spécifique. C’est cela qui fait le contenu de la relation thérapeutique.


Ces considérations sont le fruit de riches observations recueillies auprès des couples et des familles, illustrant le champ considérable de ces transactions entre patients et thérapeute.

Parallèlement à ce matériel foisonnant et passionnant, je vous propose un rappel de quelques notions de base auxquelles viendra régulièrement et inévitablement, s’alimenter notre capacité de penser de façon thérapeutique.

La référence freudienne des “Trois essais sur la théorie sexuelle” constituera ici le creuset dans lequel nous puiserons quelques concepts directeurs pour une certaine compréhension de notre travail avec les couples, dans un essai pour articuler la manière dont Freud pose le problème de la sexualité humaine à ce qui nous est donné à voir au cours d’une séance face à un couple, et d’une façon plus générale au cours d’un traitement prolongé.

“Le problème de la sexualité humaine”: ceci n’est pas un vain mot, ni une expression de circonstance, et on pourrait sans doute élever cette expression au rang de concept. La sexualité humaine est fondamentalement problématique, constituée de nœuds considérablement mêlés.

En effet, c’est bien en tant que problème
que Freud nous invite à entrer dans cet univers
où le thérapeute est impliqué au plus profond de sa personne.


Attachons-nous un instant à la forme des “Trois Essais”, cette forme nous
introduisant, de par ce qui la constitue, au cœur de l’énigme:
Première partie: “Les aberrations sexuelles (56 pages)
Deuxième partie: “La sexualité infantile” (50 pages)
Troisième partie “Les métamorphoses de la puberté” (23 pages)

Pour Freud, parler de la sexualité humaine, c’est d’abord parler des aberrations sexuelles. Mais pour quelle raison les “déviances” seraient-elles premières dans l’ordre chronologique dans son exposé? Parce que les “aberrations sexuelles” sont aussi premières dans l’ordre du sens: La sexualité humaine est “aberrante”, et c’est seulement en tant qu’elle sera abordée comme telle qu’un discours scientifique sur la sexualité pourra se constituer.

Au total: 106 pages consacrées aux deux premiers chapitres (aberrations sexuelles, sexualité infantile) contre seulement 23 pages pour parler des métamorphoses de la puberté.
Faut-il en dire plus pour appréhender dans sa juste ampleur le considérable bouleversement que constitue cette approche théorique, radicale remise en question des croyances et convictions selon lesquelles la sexualité serait une simple fonction biologique “adulte” pouvant s’appréhender sur un modèle organiciste?

A l’intérieur de cette première partie consacrée aux aberrations sexuelles, Freud donne le plus grand développement aux questions qu’il se pose concernant l’inversion. Pourquoi une telle place pour l’inversion? Freud observe que le nombre des personnes concernées par ce type de “déviations par rapport à l’objet sexuel” est très considérable. Il passe en revue la multiplicité des explications possibles à l’inversion, et aboutit à la conclusion suivante : « Nous nous voyons certes dans l’impossibilité de fournir une explication satisfaisante de la genèse de l’inversion à partir du matériel existant, mais nous pouvons constater que nous sommes parvenus au cours de notre investigation à une vision des choses susceptible de prendre plus d’importance pour nous que la résolution de ce problème... Nous sommes ainsi mis en demeure de relâcher dans nos pensées les liens entre pulsion et Objet. Il est probable que la pulsion sexuelle est d’abord indépendante de son objet...”

En somme, pour comprendre la sexualité humaine, il faut renoncer à s’appuyer sur l’observation de la “conformation normale, dans laquelle la pulsion semble porter en elle l’objet”.

Voici donc posée la pierre de touche de la psychanalyse: “La pulsion sexuelle est d’abord indépendante de son objet”.

La réflexion sur la sexualité humaine se trouve ainsi décentrée vers le concept de pulsion, charge énergétique faisant tendre le sujet vers un but. Corrélativement, la pulsion introduit des notions qui lui sont directement attachées:
* la source de la pulsion (excitation corporelle de telle zone érogène ou de tel organe)
* le but de la pulsion (supprimer l’état de tension défini ci-dessus)
* l’objet de la pulsion (ce par quoi ou à travers quoi la pulsion atteint son but).

Les “Trois Essais” nous alertent sur les glissements de sens possibles en ce qui concerne le concept d’objet. D’une part, une réflexion portant sur la déviation par rapport à l’objet sexuel; D’autre part, une réflexion portant sur l’objet de la pulsion, et voici déjà deux champs d’investigation à différencier. L’objet sexuel nous introduit dans le domaine de la “relation d’objet”, où l’objet est le support des investissements libidinaux : amour et haine. Dans la consultation avec un couple, les deux partenaires sont accompagnés de leur “objet” pris dans ce sens. Mais nous devons toujours être attentifs au fait que, cependant, l’objet, en tant qu’objet de la pulsion, est à prendre en considération comme élément essentiel de compréhension des phénomènes à observer.

La partie qui se joue sur cet échiquier problématique est bien celle des circulations multiples entre l’objet de la pulsion et l’objet d’amour, circulations entre pulsions partielles et primat du génital, le tout renvoyant à la question de la fixation sur un objet d’amour qui donnera corps à la différence des sexes ainsi qu’à la différence des générations.

L’objet de la pulsion, et les différentes organisations sexuelles

L’objet d’amour, c’est toute une histoire, et c’est cette histoire qui fait souffrir dont les couples nous apportent la lecture. Derrière ces pages qu’on nous donne à voir de façon manifeste dans notre travail , nous, professionnels, aurons à accéder au contenu inconscient, c’est-à-dire à l’histoire de la pulsion et aux avatars de son objet.

La sexualité est d’abord prégénitale, c’est-à-dire qu’elle trouve son objet - de façon aléatoire - dans le corps du sujet et ignore le primat d’une zone érogène unique. L’enfant connaît ainsi successivement plusieurs organisations:
Organisation orale, ou cannibalique, avec le plaisir du suçotement. Organisation sadique-anale avec l’opposition des pôles sadique/passif et son corrélat, le plaisir d’emprise.
Organisation phallique qui mériterait déjà le nom de génitale, mais ne connaîtrait que l’organe masculin.
Au cours de ces organisations, l’excitation génitale existe, mais seulement comme une zone érogène parmi d’autres.

Même si la région génitale fait l’objet de stimulations précoces chez le nourrisson, elle ne peut faire l’objet des motions sexuelles les plus anciennes.

D’une façon plus générale,
la sexualité de l’individu connaît trois acmés:
la sexualité du nourrisson avec l’excitation
sexuelle du temps de l’allaitement;
reprise de l’activité sexuelle dans la période
de 2 à 5 ans; enfin, avènement de la puberté.

La découverte de l’objet

Maintenant, qu’en est-il des avatars de la fixation sur un objet d’amour, ce qui constitue l’un des nœuds de la problématique à laquelle nous serons confrontés dans notre travail avec les couples?
Bien sûr, nous avons tous présent à l’esprit ce concept nucléaire que constitue le complexe d’Oedipe, sans lequel aucune approche psychanalytique de la constitution du couple ne saurait s’effectuer. Quelle forme lui donner, à partir de la lecture des “Trois essais”?

- Le nourrisson trouve la toute première satisfaction sexuelle liée à l’ingestion d’aliments. La pulsion sexuelle a, dans le sein de la mère, un objet sexuel à l’extérieur du corps propre. Le plaisir, ici, serait exclusivement, un plaisir d’organe.
Mais la pulsion va perdre cet objet à l’époque où il devient possible à l’enfant de former la représentation globale de la personne à laquelle appartenait l’organe qui lui procurait la satisfaction. La pulsion sexuelle devient alors autoérotique.

- L’enfant de deux à cinq ans: point culminant, dit Freud, de la sexualité infantile. Les aspirations sexuelles se dirigent vers une seule personne, dans laquelle elles cherchent à atteindre leurs buts. La formulation plurielle est ici, bien entendu, à prendre en compte de façon déterminante. Cependant, la synthèse des pulsions partielles et leur subordination au primat des parties génitales n’est réalisée que de manière très imparfaite. Nous sommes en plein “complexe d’Oedipe”, et il s’agit là d’un choix d’objet analogue à celui qui caractérisera la période post-pubertaire. C’est donc le point le plus proche auquel l’enfant puisse parvenir de la forme définitive de la vie sexuelle adulte.

- Enfin, conformation définitive de la vie sexuelle: “On peut considérer comme un phénomène typique que le choix d’objet s’accomplisse en deux temps, en deux vagues. La première vague commence entre deux et cinq ans, et la période de latence entraîne sa stagnation ou son recul; elle se caractérise par la nature infantile de ses buts sexuels. La deuxième intervient avec la puberté et détermine la conformation définitive de la vie sexuelle”. (131)


En somme, la conformation définitive de la vie sexuelle
se définit comme un choix d’objet
qui n’est que le deuxième temps
de la période d’acmé qui l’a précédé.


Toute lecture du phénomène pulsionnel, comme de la question du choix amoureux, doit se faire à travers la grille de l’après-coup.

S’il n’y avait qu’une leçon à tirer de la lecture des “Trois essais”, ce serait d’écarter de façon radicale toute compréhension univoque et linéaire du choix amoureux. D’ailleurs, il est des pages où Freud nous incite à relativiser de manière encore plus radicale la place que nous pourrions donner à la période oedipienne: “Ce n’est pas sans de bonnes raisons que la figure de l’enfant qui tète le sein de sa mère est devenue le modèle de tout rapport amoureux. La découverte de l’objet est à vrai dire une redécouverte.” (165)

“Faire couple”, c’est donc toujours inévitablement refaire couple, c’est-à-dire qu’ un couple en cache toujours un autre, qui l’a précédé. Même pour le premier couple de l’histoire du sujet - je veux parler du couple mère/enfant - que tant de liens relient à une vaste constellation d’autres couples, existant conjointement ou préalablement.