La communication dans le couple
:
promenade en compagnie du cinéaste François Truffaut
« ...Etes-vous heureux?
Il tourna les yeux vers elle.
- Heureux, dit-il, oui. Mais tais-toi.
Il ne voulait pas parler. Il se pencha sur elle et l'embrassa. »
D. H. Lawrence. L'amant de Lady Chatterley.
Lorsqu'on me proposa d'aborder pour une revue « les non-dits
dans le couple » j 'acceptai aussitôt, avec naïveté.
Facile! Puis les heures passèrent, et je pris conscience
que ce ne serait pas si simple d'aller démêler un tant
soit peu ce qui touche à la vaste question de la communication
dans le couple. Quel fil saisir pour débrouiller cet écheveau
truffé de nœuds?
La peau douce
Ainsi, le lendemain, Madame R. qui consulte – seule –
pour la première fois dans l'objectif d'entreprendre une
thérapie de couple avec son mari, déclare tout de
go lors de l'entretien: « Il est important que je vous dise
des choses que mon mari ne doit pas savoir. Lui et moi nous n'en
avons jamais parlé, et je pose comme condition d'une suite
avec lui que ce sujet ne soit pas abordé. »
Et Madame R. de me confier un lourd secret qui marque sa vie sentimentale
et concerne directement son mari. Cet instant dans l'échange
avec Madame R. est marqué par un net vacillement de ma part.
Comment envisager une thérapie de couple, alors que la demande
est grevée par de tels a priori de non-dits? Je garde ces
réflexions pour moi-même: un temps de maturation me
permettra peut-être de mieux comprendre...
C'est alors que j'eus l'occasion de revoir le très beau
film de François Truffaut: "La peau douce" .
Je reçus alors ce film comme un cadeau, moi qui devais écrire
sur le thème du non-dit dans le couple.
Pourtant, rien de plus « ordinaire » que l'histoire
de Pierre, cet un homme d'âge mûr qui, marié
à Franca, s'éprend d'une jeune hôtesse de l'air,
Nicole.
La corbeille à papier du dire
Le cinéaste traite le sujet sur le mode du drame: Pierre
ne peut rien dire à sa femme de cette liaison qui, pourtant,
va prendre peu à peu toute la place dans sa vie apparemment
si raisonnable. Passion déferlante, rongeant à bas
bruit la relation de Pierre et Franca, jusqu'au dénouement
violent de la fin du film.
En y regardant de plus près, on observe que le « non-dit
» tisse de part en part les actes de Pierre. Non-dit de Pierre
à Nicole, sa maîtresse. Ainsi, ce télégramme
qu'il rédige:
« Nicole. Stop. Depuis que je vous connais, je suis un autre
homme... et cet homme ne peut envisager de vivre sans toi... Je
vous aime. Pierre. »
La caméra insiste sur ce message tellement fort, mais qui
sera jeté de la main même de Pierre dans une corbeille
à papier sans que Nicole, au bras de Pierre dans cette scène,
ne puisse en prendre connaissance.
Plus loin dans le film:
« Nicole: - Pierre, tu m'aimes?
- Oui.
- Pourquoi tu ne me le dis jamais ? Parce que c'est pas ton genre
de dire ces choses-là ? C'est pour ça?
- Oui. C'est exactement ça. »
Pierre est un intellectuel de renom. Une autorité dans le
domaine de la pensée. Ainsi, nous le suivons en province
où il doit parler en public. Pour cette escapade prolongée,
il a souhaité la présence de Nicole à ses côtés,
tout en voulant absolument cacher sa présence aux organisateurs
de sa conférence. Nous le voyons alors s'empêtrer dans
une série de mensonges auprès de son ami Clément
qu'il égare dans une impressionnante cascade de quiproquos.
Un titre pour le non-dit
Mais pourquoi donc Pierre s'enferre-t-il dans ce labyrinthe infernal
de non-dits, jusqu'à susciter le désengagement affectif
de Nicole et la folie destructrice de Franca? Et puis, étrange,
quand même, ce titre « La peau douce
». Pour Pierre, la peau de sa maîtresse Nicole?
L'être humain est un être de relations intersubjectives
où s'entrelacent de multiples faisceaux et modes de communication.
Paradoxalement, l'une des découvertes essentielles de la
psychanalyse – grande initiatrice des thérapies par
la parole – porte sur cette donnée incontournable:
le langage articulé, porteur de sens et de vérité,
image idéalisée de l'échange de qualité
entre personnes, n'est qu'un des multiples champs du « dire
».
Car, à l'aube de la vie,
sont les sensations, perceptions,
émotions que procurent à l'enfant les soins maternels
précoces,
immense planète de l'en deçà du langage
où celui-ci s'enracinera plus tard .
La peau douce, c'est d'abord celle de la mère pour l'enfant,
et celle de l'enfant pour la mère, prototype du lien d'amour,
unique et spécifique à chacun, qui donnera corps,
chez l'adulte, à la relation de couple. Lors de ce temps
inaugural, tout dysfonctionnement, aussi minime puisse-t-il paraître,
dans l'ajustement mère-bébé, ouvrira la faille
par laquelle surgiront plus tard toutes les mises en acte à
visée d'expression, demandes adressées au partenaire
mais qui court-circuiteront le langage. Malentendus, passages à
l'acte, silences inadaptés, cris, pleurs, ébauches
avortées de paroles, chuchotements ou murmures à valeur
de non-dit dans le dire.
Epilogue
François Truffaut est né le 6 février 1932
à Paris. Sa mère, Janine de Montferrand, fille mère
d'à peine vingt ans, a dû cacher jusqu'à une
date avancée à sa famille cette grossesse illégitime
qui signe aux yeux des esprits frileux de l'époque une vie
dissolue.
Par deux fois, Janine a voulu avorter et n'y a renoncé que
sur les interventions insistantes de sa propre mère qui,
elle, désire cet enfant. Le petit garçon né
« de père inconnu » sera aussitôt placé
en nourrice à la campagne, loin d'une mère qui ne
lui manifeste aucun intérêt. Il a vingt mois lorsque
le futur époux de Janine, Roland Truffaut, lui donne son
nom. François n'y gagnera pas pour autant un foyer et connaîtra
les vicissitudes de liens affectifs précaires selon la succession
de ses lieux de vie: nourrices, grands-parents, parents...
Lors d'une interview en 1971 avec la journaliste de Radio Canada
Aline Desjardin, François Truffaut fera cette confidence:
« Ma mère ne me supportait pas. Je n'avais pas le droit
de jouer ni de faire du bruit, il fallait que je fasse oublier que
j'existais. »
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